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24 January 2012

Rahma Benhamou El Madani : « Je tente de renouer avec mes racines à travers mes films. »

Entretien avec Rahma Benhamou El Madani de Beti Ellerson
À travers ses films, Rahma Benhamou El Madani découvre et examine ses identités multiples. Son dernier film Tagnawittude lui a permis de redécouvrir aussi la musique gnawa et ses pratiques mystiques.
Rahma, vous avez une identité de multiples sources : l’Algérie, le Maroc et la France. Parlez-nous de vos origines et comment elles vous ont formées, influencées.

Je suis née en Algérie, dans un petit village près d’Oran. Mon père et ma mère sont marocains, ils se sont installés dans ce village, où est né aussi Marcel Cerdan d’ailleurs, où de nombreux fermiers colons vivaient de la vigne. Mes parents ont quitté le Maroc et leur Atlas pour passer la frontière et aller en Algérie. Mon père y allait souvent en tant que saisonnier. Tous leurs enfants sont nés dans ce village. Puis il y a eu l’indépendance, l’histoire du Sahara occidental et les frontières entre l’Algérie et le Maroc posaient problèmes, comme dans d’autres pays africains. Le conflit devint de plus en plus sérieux. En 1968 mon père quitta l’Algérie et arriva en France, en 1972 mes parents inquiets de la tournure de la situation, décident de quitter définitivement l’Algérie et nous nous installons en France où mon père travailla dans le vignoble encore une fois.

J’ai donc été coupée de mes racines marocaines et je découvrais le Maroc et l’Atlas à l’âge de 10 ans pendant les vacances d’été. Mes racines algériennes seront coupées douloureusement. Je tente de renouer avec ces racines à travers mes films.

J’ai mis beaucoup de temps à trouver cet équilibre car les anciens ne se rendent pas compte que leurs chemins nous façonnent et qu’ils doivent nous laisser des traces pour ne pas perdre la mémoire. C’est ce que je tente de retrouver, la mémoire de notre monde entremêlé l’un à l’autre. L’histoire du Maroc, de l’Algérie et aussi de la France dans son rapport à ces deux pays. 

Vos formations et intérêts sont aussi divers ! Études de Sciences du langage, la radio, et puis le cinéma, ont-ils des points de convergences? Comment êtes-vous arrivée au cinéma par ce chemin?

Du plus loin que je me souvienne, on va dire que mon envie de raconter a été importante. J’ai fait un passage en Sciences du langage en vue de me présenter à l’école de journalisme… et un stage à l’AFP grâce au rédacteur en chef qui m’avait prise sous son aile, et originaire d’Algérie également, m’a convaincue de faire des sujets en prenant mon temps… J’ai donc choisi de faire du terrain plutôt que de passer par une école. J’ai vraiment choisi la voie la plus difficile… Je ne savais pas encore que je me dirigeais vers le cinéma, il me semblait bien difficile d’y accéder pour plusieurs raisons. Je menais mes études tout en m’essayant à la radio et aux débats politiques, aux émissions musicales et aux interviews… mon expérience radiophonique pris fin lorsque j’ai commencé à mener des sortes de documentaires radiophoniques. L’écriture avait déjà beaucoup de place dans ma vie. Et à l’époque les caméras étaient lourdes, ce qui fait que lorsque je me renseignais sur les formations liées à l’image aux Beaux arts ou bien à l’AFPA (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes), je comprenais bien que ce poste était réservé aux hommes.  Je pratiquais, à ce moment-là, la photographie à défaut d’image animée. Le cadrage est entré dans ma vie par le biais de la photo.

Puis la vie a fait que j’ai quitté avec mon compagnon ma région Bordelaise pour Lille. J’ai décidé de laisser tomber la radio, l’image et de tenter l’enseignement en me dirigeant vers la filière français langue étrangère. Et c’est paradoxalement au moment où je laisse tomber que je rencontre une enseignante en filmologie, militante au MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’amitié entre les peuples), organisatrice d’un festival de cinéma à Lille (l’Acharnière) et que je suis remise sur mon chemin… Elle va seulement après ses cours me donner quelques conseils rapides que je note rapidement… je ne m’inscrirais jamais à ses cours. Encore cette peur au fond de moi de ne pas être sur le terrain. C’est pendant ma grossesse que je prends conscience de mon choix de faire un documentaire et que j’écris beaucoup, les banlieues françaises étaient en ébullition, la France commençait à se rendre compte que les cités et les jeunes issus de l’immigration qui y vivaient explosaient de colère. Khaled Khelkal devenait un terroriste et la France devait ouvrir les yeux sur ce monde-là. Venant plutôt de la radio, j’ai eu évidemment un mal fou à convaincre. Mais je l’ai fait. J’ai rapidement compris grâce à cette enseignante que la production ne devait pas me faire peur. Il fallait pour savoir parler aux producteurs comprendre de quoi on parle. 
Vos films suivent votre parcours ! Entre le Maghreb et la France à la recherche de votre histoire passée et présente, celle de vos parents et aussi de la vie des gens qui vous entourent. Pourquoi ces thèmes ? Pourquoi cette approche pour les raconter ? Parlez-nous un peu de vos films.

J’ai essuyé un échec sur mon premier film, que j’ai décidé de stopper de moi même car le sujet abordé était trop délicat pour me laisser influencer et diriger par un producteur. J’ai choisi de ne pas le faire comme on me le demandait. Il n’en reste qu’un essai de 15 minutes « Emotion d’une rencontre » ça se passe à Vaulx en Velin dans les années 95 au moment où les médias se focalisaient sur ce lieu pour des raisons liées à l’actualité du terrorisme.
Mon père prenait sa retraite et décidait de partir vivre au Maroc. Il est devenu pour moi nécessaire de faire parler mes parents du conflit algéro-marocain alors tabou. Les caméras DVCAM font enfin leur apparition.  Mon cadreur va alors m’expliquer comment m’en servir. Puis je fais un stage de prise de vue. J’ai filmé mes parents moi-même, seule à l’image et au son. Je voulais retrouver ma légèreté. Ce film sera coproduit par les frères Dardenne à l’étape de la postproduction. Jean Pierre Dardenne m’a appris quelque chose dont je me souviens encore : à ne jamais oublier sa volonté instinctive qui a poussé à raconter.  Je serai amenée à me dépasser alors lors des projections-débats devant souvent des réactions très passionnées. Accompagner ce film a été très difficile. J’ai fini par décider d’arrêter ces débats souvent révélateurs du conflit qui perdure entre mes deux pays maghrébins.
Le thème de la politique en France lié à l’immigration, évidemment, me concernait de très près. Je comprenais bien qu’il me fallait l’aborder d’une façon radicale. Je choisis la fiction et le court métrage. J’ai pu tourner, au Studio Le Fresnoy, mon premier court métrage fiction « Plus fort que tout le reste ? ». Est-ce que l’amour est plus fort que la politique pour un couple dit mixte ? J’ai choisi d’aborder le thème du mariage mixte au moment où avec les lois Pasqua tout couple mixte devenait suspect de mariage blanc. Ce film sera projeté en première partie d’un documentaire « Je suis chez moi » que je ferai 2 ans plus tard en m’intéressant aux enfants de parents sans papiers et au RESF (Réseau Education Sans Frontière) dont je ferai partie tout en filmant. Il m’est apparue nécessaire de prendre ma caméra et de suivre une famille algérienne et leurs enfants ainsi qu’un jeune lycéen d’origine colombienne tout en militant au RESF. Ce film a été pour moi une façon de montrer la population française sortir de l’ombre en même temps que les sans papiers et montrer son soutien. Je suis sortie de ce film, marquée par cette solidarité, mais aussi par les conditions de vie des sans papiers dans mon quartier à Belleville. A l’avant première, il y avait vraiment énormément de monde à la Bellevilloise, lieu où l’on a plus l’habitude d’aller voir des concerts. Tout mon quartier se mobilisait et cette projection restera longtemps dans ma mémoire. Le film circulera, il aura son histoire, sera déprogrammé d’une chaîne pour des raisons obscures… J’étais déjà repartie sur ma recherche vers cette fois la musique gnawa, sujet que j’avais commencé avant « Je suis chez moi »… 

Tagnawittude ! Quel titre ! Quelle est cette musique gnawa alors ?
J’ai été souvent en contact avec des musiciens de par mon parcours radiophonique. Un caméraman m’a confié des images de la tournée africaine du groupe Gnawa Diffusion. Je connaissais le chanteur Amazigh Kateb par l’intérêt que je portais à l’œuvre Nedjma de son père Kateb Yacine, qui me permettait de maintenir mon lien invisible avec mon pays natal. Cette rencontre a été très marquante pour moi, elle m’a permis de revenir en Algérie pour tourner Tagnawittude.

Je n’étais pas prête pour parler de l’Algérie. Alors j’ai décidé plutôt de lier mes deux pays en racontant cette histoire commune, cette culture commune autour de la musique gnawa. J’ai saisi grâce aux musiciens de ce groupe Gnawa Diffusion comme Amazigh et aussi Aziz Maysour que cette culture ancestrale était à la mode et qu’elle se fusionnait plutôt bien au monde occidental et à ses sonorités. Le film a eu une production difficile, un parcours très chaotique. Très peu de financement, beaucoup de temps entre les tournages à cause de la puissance des séquences filmées, et de mon investissement. Ce film a été très difficile à faire. J’ai dû faire beaucoup de pauses pour comprendre cette culture, pour aller chercher sur place des explications, et pour continuer là où beaucoup auraient arrêté, puisque tous mes amis me conseillaient de passer à un autre sujet.

La musique gnawa aujourd’hui est très tendance au Maghreb et cela s’explique par une recherche liée à l’essentiel de notre culture chez la jeunesse mais aussi dans les différentes sphères de la société maghrébine prise entre le monde occidental et le monde religieux. La musique gnawa parle à tous.

Qu’est-ce que vous a inspiré de faire un film sur la musique gnawa ? Quelle était votre démarche ? Votre parcours et découvertes ?

Ce qui m’a inspiré on va dire au départ c’est cette vision que j’ai eu en voyant le maître marocain Maalem Hmida Boussou descendre des escaliers et qui me faisait penser à mon grand père maternel. Amazigh Kateb me demandera d’ailleurs « pourquoi ton grand père est noir ? »… Cette réponse a été un déclencheur encore une fois au fond de moi. Et puis en écoutant le maître algérien Maalem Ben Issa me parler de cette culture timidement alors que le son qu’il jouait sur son guembri était tellement blues et tellement fort… je n’ai pas pu m’empêchait de ressentir quelque chose qui a dû créer une sorte de réminiscence. Mes origines remontait à la surface.

J’ai mis beaucoup de temps à visionner mes images, à écrire étape après étape à chaque fois que je revenais de mes repérages filmés. C’était important pour moi de filmer mes recherches car je savais que suivre un chanteur comme Amazigh Kateb allait être sportif. Je n’ai jamais pensé que dans mon film il n’y aurait que des hommes. J’ai pourtant été confrontée à cette difficulté sans l’avoir jamais pensée. Le tournage en France auprès de musiciens a été très difficile parce que j’arrivais seule, je posais ma caméra et je tournais sans jamais parler à personne. Je savais que j’étais sur un terrain miné de toute façon alors je m’imposais par mon silence. J’ai décidé à la suite de moments très épineux de travailler avec un caméraman et de faire la prise de son. J’ai gardé quand même une deuxième caméra pour moi que j’utilisais quand je le sentais. C’était assez particulier de me retrouver en position de perchiste au milieu de gnawa, mais jamais personne ne m’a manqué de respect ou m’a reproché ma présence. 
Ce film m’a permis de comprendre la transe au Maghreb et aussi de découvrir cette culture d’une façon musicale. J’ai eu la possibilité depuis Casablanca après le festival d’Essaouira de me rendre en avion à Alger. Ce lien symbolique j’ai tenu à le vivre et ce voyage est très important pour moi encore aujourd’hui.
Ce film est aussi personnel, vous avez rencontré l’esprit gnawa comme petite fille à travers votre mère qui pratiquait la transe. Ces souvenirs d’enfance comment ont-ils évolués ? Comment vous ont-ils influencés ?

J’ai pas compris de suite la transe de ma mère. J’ai mis des années à saisir. Ma mère continuait à pratiquer la transe en France d’une façon personnelle. Et en m’approchant de la musique gnawa j’ai compris ce qu’elle vivait. J’ai alors filmé mes repérages et je lui ai montré ces images.

Elle a nommé les objets qui entourent la pratique des gnawa, et j’ai compris sans autre commentaire. Ma mère a été initiée en Algérie et j’ai dû, je pense, retrouver la mémoire en entendant jouer ces musiciens aux moments de mes repérages et auparavant en écoutant le groupe Gnawa Diffusion. Ces pratiques de transe évidemment ont marqué ma vision du monde. Je suis très marquée par les visites aux marabouts et les autres pratiques mystiques. L’invisible est important dans le monde des femmes maghrébines. Evidemment la transe pratiquée par ma mère m’a beaucoup inspirée et je pense que sa vision du monde invisible et ses croyances m’ont permis d’entrer dans la création et l’écriture. 

La réception de Tagnawittude ?

J’ai été très touchée par l’avant-première à Alger. Ce fut un succès tant au niveau du public qu’au niveau de la presse. J’ai passé 10 jours à répondre aux journalistes, ça était un accueil très important pour moi de dire qui je suis et ce que je fais là et pourquoi. L’Algérie 34 ans après fut accueillante.

Le Maroc a été un peu plus problématique. Le jour de l’avant-première des inondations ont plongé Casablanca dans le chaos et la projection évidemment devait être annulée. J’ai tenu, à deux mois avant la révolution du Jasmin, à faire un voyage important, d’abord Carthage à Tunis, puis Alger et ensuite Oran et mon village natal et enfin Casablanca. J’ai eu ce besoin de voir le Maghreb pendant 1 mois et demi, je l’ai parcouru profitant de mes projections. Ce Maghreb aux frontières ouvertes dans le passé, aujourd’hui divise et sépare un même peuple.
  
Tagnawittude a voyagé, de Dubai à Montréal, à Santiago du Chili, au Tennessee, en Arizona, à New York… à Alger à nouveau pour les veillées du ramadan… à Paris, à Genève bientôt… ce film a l’air de plaire à divers public. L’échange à Dubai et à New York tournait autour de l’aspect religieux de cette culture. Evidemment il en est question en filigrane de cette tolérance des gnawa qui est avant tout une confrérie religieuse soufie.

Pour ce qui est de ce film en France il sort en salle le 6 juin d’abord au cinéma la clef à Paris et puis nous accompagnerons le film avec des mini-concerts dans d’autres salles. Nous travaillons sur la sortie du dvd.  Nous espérons encore des aides à la postproduction pour la sortie salle et surtout l’aide après réalisation de l’avance sur recette du CNC. L’avenir nous dira si ce film sera accueilli en France. Quant au Maroc j’espère qu’il finira par accueillir ce film, je le souhaite dans de meilleures conditions.


Janvier 2012 


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